Voilà du fumier !

« Accepter toutes les immondices du royaume, c’est être le seigneur du sol et des céréales ». Lao-Tseu.

Excrément, fiente, fumière… fumure ! L’affaire n’est pas nouvelle : l’image du tas de fumier de ferme colle à nos campagnes. Et l’odeur de la noble matière épandue en grands jets sur les prairies vertes, nous la sentons tous ! Du côté des jardins, l’usage la veut enfouie, « à moitié pourrie », après le coup de bêche. Mais voilà : les pratiques évoluent à l’aune des connaissances nouvelles.  Aujourd’hui, on n’enterre plus de matière organique fraiche. L’observation de la forêt nous apprend qu’un organisme mort arrive « par le dessus ». Feuilles ou branches mortes, cadavres, excréments… seront confiées à la litière. Ouvriers bactériens, mycéliens, insectes ou acariens se chargent, en ordre de bataille, de fragmenter, absorber, excréter, redigérer. Transformée, méconnaissable, notre matière n’est plus elle-même : elle va rejoindre très progressivement dans les premiers centimètres du sous-sol le royaume de la fertilité : l’humus. Ici s’opérera dans le temps la transformation du vivant. Azote, phosphore, potassium et tant d’autres sels minéraux libérés vont apporter leurs bienfaits aux plantes.

La nature nous ouvre la voie : être plus efficace, dépenser moins d’énergie, offrir à nos légumes force et résistance aux maladies … par l’apport de matières organiques sur le sol. Exit le fumier ? Non bien sûr ! Il reste un trésor de fertilité. À condition de bien l’utiliser. Première option pour cela : le composter. Seul ou en mélange avec d’autres matières, le fumier va se transformer pour produire un fameux compost. La chauffe a l’avantage d’assainir le tas et de détruire les graines d’herbes qui ont transité par l’intestin des animaux.

Une deuxième option est d’utiliser le fumier en paillage, en fine couche de deux à cinq centimètres. Réservons celui-là aux cultures gourmandes. La matière brute sera ainsi apportée entre les rangs de tomates, poireaux, choux. Il se décomposera avec lenteur, pour animer et donner vie au sol.

Pailler oui, mais… comment ?

De quoi pailler ? Feuilles mortes à l’automne, herbes sèches, vieille paille récupérée chez le paysan voisin, tontes de gazon… Reste à savoir comment les utiliser. Voyons quelques conseils pour bien débuter en paillage !

Un sol chaud. Le paillage protège le sol des rayonnements solaires, il empêche donc celui-ci de se réchauffer au printemps. Or tout jardinier le sait : les plantes ne poussent bien qu’à partir d’une certaine température du sol, variable selon les espèces. Le paillage devra être appliqué à partir des beaux jours, en Auvergne pas avant le mois de juin, afin de ne pas nuire à la bonne croissance des plantes.

Un sol humide. Le paillage permet de retenir l’eau dans le sol en évitant sa perte par évaporation. Mais il limite aussi quelque peu son arrivée par les pluies qu’il absorbe, en particulier si elles sont faibles. Alors paillons, mais sur un sol déjà bien pourvu en eau !

Un désherbage méticuleux. Le paillage doit faire gagner du temps dans l’entretien de la culture. Or s’il stoppe la pousse des herbes indésirables annuelles en entravant physiquement leur croissance, il ne peut malheureusement rien contre les vigoureuses vivaces que sont chardons, chiendents, liserons… Ces fidèles se contrefichent de l’épaisseur de matière à traverser ! Que les jardiniers se rassurent quand même : les quelques oubliées de la binette s’arracheront plus facilement à l’avenir dans un sol protégé, humide et souple.

Plus le paillis est sec, coriace, grossier, plus il sera destiné aux plantes installées durablement. Pour exemple, le broyat de bois sera réservé aux fraises, framboises, euphorbes ou rosiers. Sa lente décomposition ne gênera pas le jardinier qui renouvellera les apports année après année. Laissons le fin gazon -vite digéré par le sol- aux laitues véloces !

Pas de paillage hivernal en sols lourds. Puisqu’ils ont tendance au tassement, on leur préférera les engrais verts aux racines fouisseuses, aératrices, travailleuses…

Principe du paillage

Le paillage, cette pratique qui nous vient des jardiniers-maraichers parisiens du 19e siècle. Observateurs attentifs, excellents techniciens et… producteurs de légumes frais pour le tout Paris, ils l’avaient bien remarqué : déposer en surface du sol un fumier « à moitié consommé » apporte de nombreux bénéfices aux légumes ainsi chouchoutés. Quatre essentiels : de moindres arrosages, peu de désherbage, un sol de bonne structure, une fertilité accrue.

Le sol recouvert ainsi (à peine un centimètre selon ces experts) limite l’évaporation de l’eau et la germination des dites mauvaises herbes annuelles. « Sans paillis, nous serions obligés de tripler les arrosements, et encore les légumes ne viendraient pas aussi bien » (1845 – Moreau et Daverne). Concernant l’amélioration de la qualité du sol et de sa fertilité, nos anciens n’en connaissaient pas la cause. On sait aujourd’hui que les bactéries se nourrissent des matières organiques fraîches, puis libèrent rapidement des éléments nutritifs assimilés par les plantes. Elles produisent en même temps une sorte de colle qui agrège les fines particules de sol entre elles : la voilà notre terre grumeleuse, aérée et légère, ce « couscous » facilitant la pénétration des racines, la circulation de l’eau et de l’air. Les pionniers du paillage avaient sous la main une manne : un fumier de cheval abondant qu’ils rapportaient de la capitale au retour des livraisons de légumes. Ils retiraient ce fumier – composté en partie –  des couches chaudes à melons ou des vieilles meules à champignons. Le paillis était de composition idéale. Un fumier de cheval de cet âge, humide et ayant chauffé quelques semaines : voilà un mets de choix pour les êtres vivants du sol, digeste, équilibré dans sa composition et rapidement dégradé.

Les pratiques ont évolué bien sûr, et si l’on paille à tout va dans nos jardins modernes, il est bon de garder la leçon de nos ancêtres jardiniers. Le paillage a ses petits secrets et coups de main à trouver : le bon paillis, au bon moment, sur la bonne culture…